Un aperçu de la trousse à outils dont nous disposons : leviers juridiques et politiques pour améliorer la qualité de l’air à l’intérieur des milieux d’apprentissage

Par Krystal-Anne Roussel, codirectrice et conseillère juridique chez AEL Advocacy, autrice principale de l’analyse contextuelle commandée par le PCSEE et l’ACDE 

Un nombre croissant de données probantes démontrent que la mauvaise qualité de l’air intérieur (QAI) est nocive pour la santé, particulièrement chez les enfants. Alors que de telles données s’accumulent, l’attention se tourne vers les milieux où les enfants passent la majeure partie de leur journée : les écoles, de même que les services de garde à l’enfance en milieu institutionnel ou à domicile. Que ce soit en raison de la présence de moisissures, de radon, de composés organiques volatils ou de gaz d’échappement provenant des moteurs au diésel des autobus scolaires qui tournent au ralenti, l’air que respirent les élèves, les éducateur·rice·s et les membres du personnel à l’intérieur des bâtiments est souvent loin d’être sain. 

Afin de mieux comprendre les leviers juridiques et politiques existants qui permettent d’assurer une bonne qualité de l’air à l’intérieur des milieux d’apprentissage, le Partenariat canadien pour la santé des enfants et l’environnement (PCSEE) et l’Association canadienne du droit de l’environnement (ACDE) a commandé une analyse contextuelle des programmes de soutien visant à améliorer la qualité de l’air à l’intérieur des écoles et des milieux de garde à l’enfance au Canada. Publiée dans le cadre de la campagne organisée lors de l’édition 2024 de la Journée des milieux d’apprentissage sains (JMAS), cette analyse a permis de recenser les outils visant à préserver la qualité de l’air, et de savoir si ceux-ci sont utilisés (ou non) dans les milieux d’apprentissage.  

Ce billet de blogue souligne les points saillants de l’analyse commandée par le PCSEE et l’ACDE. Il propose également une approche intersectorielle axée sur l’équité qui permettrait de mieux tirer parti des outils juridiques et politiques existants pour faire en sorte que tous les enfants au Canada puissent bénéficier d’un air intérieur plus sain. 

Pourquoi est-il important d’assurer la bonne qualité de l’air à l’intérieur des milieux d’apprentissage? 

Les enfants sont particulièrement vulnérables à la pollution de l’air. Leurs poumons sont encore en développement, et considérant leur masse corporelle, ils respirent plus d’air que les adultes. L’exposition aux polluants retrouvés à l’intérieur des bâtiments, tels que la poussière, les moisissures et les produits chimiques, peut nuire aux fonctions respiratoires, aggraver l’asthme et affecter le développement cognitif. 

Les conséquences de l’exposition à un air intérieur de mauvaise qualité ne sont pas seulement individuelles, mais également systémiques : la mauvaise QAI peut engendrer un éventail de problèmes de santé, incluant des troubles respiratoires, des allergies et une réduction des fonctions cognitives, en plus d’avoir une incidence négative sur le rendement scolaire et le taux d’assiduité. Les personnes vulnérables, telles que les enfants issus de familles à faible revenu et ceux qui ont des problèmes respiratoires, courent plus de risques d’éprouver des problèmes de santé liés à la QAI. 

Quels sont les constats de l’analyse commandée par le PCSEE et l’ACDE? 

L’analyse commandée par le PCSEE et l’ACDE a confirmé ce que plusieurs familles et éducateur·rice·s suspectaient déjà : bien que nous disposions de plus en plus de données scientifiques et de directives publiques claires pour nous prémunir contre les risques liés à la mauvaise QAI, nos politiques et nos programmes sont à la traîne. 

Il existe néanmoins des outils pour contrer les risques liés à la mauvaise QAI, plusieurs d’entre eux étant de nature juridique ou réglementaire. Le défi consiste toutefois à utiliser ces outils de manière efficace, cohérente et équitable. 

De multiples paliers de compétences 

La responsabilité d’assurer la bonne qualité de l’air à l’intérieur des écoles et des milieux de garde à l’enfance est partagée parmi différents paliers gouvernementaux : 

  • Fédéral : En vertu de la Loi constitutionnelle, le gouvernement fédéral a le pouvoir de réglementer la QAI par l’entremise de ses pouvoirs en matière de droit criminel visant à protéger la santé publique et l’environnement. Les écoles et les milieux de garde à l’enfance dans les réserves de Premières Nations sont également de son ressort. Santé Canada joue un rôle majeur dans l’établissement des lignes directrices s’appliquant à la QAI et la réalisation d’études, alors que certains programmes fédéraux de financement peuvent soutenir l’amélioration des infrastructures. Le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail propose également des ressources et des conseils pour s’attaquer aux problèmes de QAI en milieu de travail. 
  • Provincial/territorial : Les provinces et les territoires sont principalement responsables des soins de santé, de l’éducation et des services de garde à l’enfance. Ce palier joue donc un rôle essentiel dans la réglementation de la QAI dans les écoles et les milieux de garde à l’enfance qui relèvent de leur compétence. 
  • Municipal : Les gouvernements municipaux voient généralement à l’application des codes et des normes du bâtiment, ainsi que des règlements de santé publique. Ils peuvent également jouer un rôle de premier plan en ce qui concerne les inspections et la réponse aux plaintes. 
  • Autochtones : Les gouvernements des Premières Nations, des Inuit et des Métis·ses supervisent les services d’éducation et de garde à l’enfance au sein des communautés qui relèvent de leur compétence. Bien souvent, ils doivent toutefois composer avec un sous-financement chronique, des infrastructures situées en région éloignée, et l’enchevêtrement complexe des différentes compétences. 

Le fait que cette responsabilité soit partagée parmi différents paliers rend essentielle la collaboration entre ceux-ci. Cette situation souligne également la nécessité, pour tous les paliers gouvernementaux, de faire preuve de clarté, de coordonner leurs efforts, et d’investir les moyens nécessaires. 

Outils juridiques et réglementaires : qu’y a-t-il dans la trousse à outils dont nous disposons? 

L’analyse commandée par le PCSEE et l’ACDE a permis de relever cinq principaux outils juridiques et politiques qui pourraient permettre d’améliorer la QAI dans les milieux d’apprentissage s’ils étaient mieux utilisés : 

1. Lois en matière de santé et de sécurité au travail 

Chaque province et territoire possède des lois en matière de sécurité en milieu de travail qui s’appliquent aux personnes employées dans les écoles et les milieux de garde à l’enfance. Ces lois comprennent souvent une « clause de responsabilité générale » exigeant que les employeur·se·s fournissent un environnement de travail sain et sécuritaire. Or, puisque cette clause s’applique à la QAI, de telles lois peuvent conséquemment exiger la mise en place de mesures visant, par exemple, à assurer une ventilation adéquate ou à prévenir les moisissures. Bien que ces lois n’aient pas été conçues pour protéger les enfants, leur application rigoureuse permettrait d’améliorer la QAI, ce qui bénéficierait à toute personne fréquentant les milieux d’apprentissage, y compris les membres de leur personnel et les enfants. 

2. Lois en matière de santé publique 

Les lois en matière de santé publique peuvent considérer les problèmes de QAI comme une préoccupation étant du ressort de la santé publique, ce qui confère généralement aux autorités de la santé publique le pouvoir d’enquêter sur les risques, de rendre des ordonnances et de travailler avec les établissements afin de répondre aux préoccupations. Ces lois sont particulièrement efficaces lorsque la QAI affecte des groupes de personnes vulnérables, comme les enfants. 

3. Codes et règlements en matière de bâtiment 
Les codes et les règlements en matière de bâtiment des provinces et des territoires peuvent comporter des exigences se rapportant à la QAI, comme des normes de ventilation et des lignes directrices destinées à la construction et à la rénovation.  

4. Lois en matière d’éducation 

Dans certaines provinces, les lois en matière d’éducation comprennent des clauses explicites portant sur les milieux d’apprentissage sains et sécuritaires, qui imposent notamment l’obligation de maintenir une bonne QAI. Par exemple, à l’Île-du-Prince-Édouard, les directeur·rice·s ont la responsabilité légale d’assurer la santé et la sécurité des élèves, ce qui entraîne potentiellement des obligations exécutoires concernant la QAI. 

5. Lois en matière de droits de la personne 
La mauvaise QAI peut particulièrement affecter les personnes souffrant d’asthme, d’allergies ou d’autres situations de handicap, qui sont protégées en vertu des lois en matière de droits de la personne. Si des problèmes de QAI engendrent des enjeux d’équité en ce qui concerne l’accès à l’éducation ou aux services, les familles et les travailleur·rice·s sont alors légalement justifiés de demander des accommodements ou des mesures d’exécution. 

Principales lacunes 

Malgré l’existence d’outils juridiques et politiques, l’analyse commandée par le PCSEE et l’ACDE a permis de relever d’importantes lacunes : 

  • Manque de conseils adaptés : La plupart des programmes concernant la QAI fournissent des conseils généraux qui ne répondent pas aux conditions particulières des milieux d’apprentissage, comme un fort achalandage, l’utilisation de matériel artistique et scientifique, et la présence de jeunes enfants qui sont plus vulnérables. 
  • Lacunes sur le plan du financement : Aucun financement n’est dédié à la QAI dans les services de garde à l’enfance, notamment si ceux-ci sont offerts à domicile. Par ailleurs, les écoles doivent souvent choisir entre améliorer la QAI et répondre à d’autres besoins urgents. 
  • Soutien technique limité : Peu de provinces offrent des programmes accessibles et adaptés aux milieux éducatifs qui portent sur le suivi de la QAI, la formation des membres du personnel ou la sensibilisation de la population. 
  • Préoccupations sur le plan de l’équité : Faisant souvent face à des risques accrus relatifs à la QAI, les communautés autochtones et les groupes marginalisés sur le plan socioéconomique sont ceux qui bénéficient le moins de soutien ciblé. Les services de garde à l’enfance, et plus particulièrement ceux qui ne sont pas accrédités ou qui sont offerts à domicile, sont bien souvent négligés. 

Vers une approche intersectorielle axée sur l’équité 

L’un des principaux messages que la campagne nationale menée par le PCSEE dans le cadre de la JMAS cherche à livrer est que l’amélioration de la QAI dans les milieux d’apprentissage exige une approche intersectorielle concertée. Les solutions mises de l’avant doivent faire en sorte qu’aucun enfant n’est laissé pour compte. Cela implique : 

  • D’accorder la priorité au financement et au soutien des écoles qui manquent de ressources, des communautés autochtones, et des milieux de garde à l’enfance présentant les plus hauts risques. 
  • De s’assurer que les communautés des Premières Nations, des Inuit et des Métis·ses ont les moyens de concevoir et de mettre en œuvre des initiatives concernant la QAI qui répondent à leurs besoins particuliers et qui sont adaptées à leur culture. 
  • De soutenir de manière proactive les services de garde à l’enfance qui sont offerts dans un cadre informel ou à domicile en leur fournissant des ressources adaptées à leur contexte et à leurs capacités. 
  • D’harmoniser les stratégies parmi les autorités responsables de la santé publique, de l’éducation, du travail, des infrastructures et de l’environnement afin d’éviter les approches compartimentées. 

Ce qui peut être fait dès maintenant : occasions d’agir 

La mauvaise QAI risque de compromettre la santé, l’apprentissage et le bien-être général des enfants. Dans les écoles et les milieux de garde à l’enfance, et plus particulièrement ceux au sein de communautés faisant face à des obstacles systémiques, la qualité de l’air que les enfants respirent peut avoir des conséquences à long terme. 

Comme le souligne l’appel collectif à l’action pour assurer la bonne QAI dans les écoles et les milieux de garde à l’enfance, qui a été appuyé par plus de 40 organisations partenaires à travers le pays, l’analyse commandée par le PCSEE et l’ACDE a relevé cinq gestes clés que les gouvernements, les agences et les communautés peuvent poser dès aujourd’hui : 

  1. Élaborer des lignes directrices relatives à la QAI adaptées au contexte des écoles et des centres de garde à l’enfance, incluant ceux à domicile, en portant une attention particulière aux réalités opérationnelles de ces milieux et aux vulnérabilités des enfants. 
  1. Offrir du financement dédié au soutien de l’amélioration de la QAI, notamment au sein des communautés qui manquent de ressources et qui sont marginalisées sur le plan socioéconomique. 
  1. Renforcer l’assistance technique en offrant de la formation, des programmes de suivi de la QAI et du soutien pratique aux administrateur·rice·s, aux éducateur·rice·s et aux personnes qui offrent des services de garde à l’enfance. 
  1. Tenir compte de l’équité dans l’ensemble des programmes et des politiques de sorte que les personnes les plus vulnérables face aux risques liés à la QAI obtiennent du soutien en priorité. 
  1. Mieux faire connaître les outils disponibles et favoriser l’accès à ceux-ci de sorte que les occasions de financement, les ressources et les documents d’orientation soient faciles à trouver, à comprendre et à utiliser, notamment pour les centres de garde à l’enfance informels ou de petites tailles et les communautés éloignées. 

Toute personne préoccupée par la QAI, qu’il s’agisse d’un parent, d’un·e enseignant·e, d’un·e professionnel·le·s en services de garde à l’enfance ou d’un·e membre d’une communauté, peut contribuer significativement à changer les choses en réalisant les actions suivantes : 

  • Faire de la sensibilisation au sujet des effets sur la santé de la mauvaise QAI et de l’importance de maintenir un air sain dans les espaces intérieurs où se trouvent les enfants. 
  • Plaider en faveur d’investissements de la part des gouvernements municipaux et provinciaux pour améliorer la qualité de l’air à l’intérieur des milieux d’apprentissage. 
  • Entrer en contact et collaborer avec les écoles et les milieux de garde à l’enfance pour trouver et mettre en œuvre des solutions permettant de maintenir et d’améliorer la QAI. 
  • Promouvoir l’équité afin de faire en sorte que toutes les communautés bénéficient des efforts visant à améliorer la QAI. Par exemple, en accordant la priorité aux communautés mal servies, qui font souvent face à de plus grands risques liés à la santé environnementale et qui ont difficilement accès aux ressources permettant d’améliorer la QAI. 

Le PCSEE et l’ACDE encouragent les éducateur·rice·s, les parents, les décideur·se·s politiques et les professionnel·le·s de la santé publique à rester engagés et à être prêts à saisir les futures occasions permettant de faire en sorte qu’à l’avenir, les normes en matière de QAI reflètent les besoins des enfants et des milieux d’apprentissage à travers le Canada. L’une de ces occasions est la consultation publique que le gouvernement prévoit d’organiser sur l’ébauche de lignes directrices fédérales relatives à la QAI dans les écoles. 

Améliorer la QAI ne permet pas seulement de bénéficier d’un air plus pur, mais également d’offrir à tous les enfants les meilleures chances d’apprendre, de grandir et de s’épanouir dans des environnements sains et sécuritaires. Les outils sont déjà dans la trousse. Il est maintenant temps de les utiliser. 

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